dimanche 24 janvier 2016

Lucien Clergue, les premiers albums au Grand Palais : de sable, de ruines et de lumière


La photographie est une discipline qui ne m'est pas familière. Je suis plutôt inculte à son propos, de plus j'ai un a priori vis à vis de celle-ci, celui d'une certaine froideur. Grâce à une amie de passage à Paris, j'ai pu me rendre à l'exposition consacrée aux premiers albums de Lucien Clergue, au Grand Palais, visible jusqu'au 15 février 2016. J'ai découvert l'artiste et son travail, émerveillée, au cours de cette exposition à la scénographie tout en longueur et en sobriété, oscillante comme une vague. Coup de foudre esthétique.


Le jeune Lucien Clergue grandit dans une Arles détruite par les bombardements de la Seconde Guerre Mondiale. Sous la chaleur implacable de midi, il déambule dans les décombres de sa ville natale. Il se nourrit de l'air imprégné du sang fumant des taureaux tués dans les arènes, et du chant des gitans. Ces deux composantes de sa vie font partie intégrante de ses travaux. Il est l'un des rares, si ce n'est le premier, en cette moitié de XXe siècle à rendre hommage aux taureaux morts après l'aficion (ou corrida), et à saisir des moments de vie dans les camps gitans sans misérabilisme ni diabolisation, célébrant au contraire leur culture.

©bloomwood_a
De cette adolescence sombre (et si lumineuse à la fois, si inspiratrice !), il puise la matière première de ses travaux, et photographie son environnement avec un matériel basique : les ruines, les vieilles pierres, les objets cassés, les carcasses d'animaux. Le tout sous un soleil éclatant, découpant les ombres au couteau. Le jeune Lucien allie ainsi son attrait pour le morbide et sa soif de lumière.

Lumière, omniprésente dans les photographie de l'artiste, telle une matière sculptée ! Il en joue avec génie, la chassant dans les marais de Camargue. Les roseaux, les reflets de l'eau stagnante, les boues et sables forment avec le soleil des ensembles géométriques frôlant l'abstraction. Cette lumière est aussi l'un des éléments essentiels de ses nus féminins en bord de mer, qui le rendirent célèbres. Eau, peau nue, sable et soleil. Des corps féminins généreux, libérés, et universels, selon ses propres mots. Un enchantement, une sensualité que, pour ma part, je n'avais que très peu rencontrée dans une œuvre d'art, même en peinture. Une chaleur brutale se dégage de ces clichés en noir et blanc, claquant dans l'œil, rendant aussi vivant le corps souple et mouillé du modèle, et le squelette blanchi d'un chat trépassé.

©bloomwood_a
L'histoire et la personnalité fascinantes du jeune Lucien sont merveilleusement restituées par un fourmillement de documents vidéo, tels que des films tournés par l'artiste, et de nombreuses interviews réalisées pour la télévision, très émouvantes, témoignages d'une époque où tout restait à faire dans le domaine de la photographie. Il fut l'ami de nombreux artistes vivant dans sa région, avec qui il collabora et qu'il photographia souvent : Pablo Picasso, Luis Mariano, Jean Cocteau, Saint John Perse, Manitas de Plata (qu'il découvrit, et dont il devint le manager !)... A l'issue de l'exposition, on a l'impression de connaître intimement ces gens, mythes du siècle dernier, saisis sur la pellicule avec une fraîcheur désarmante, dans des moments d'intimité précieux.

J'ai été profondément touchée par le travail de l'artiste, qui, à l'aide du seul moyen d'expression qu'il possédait, a créé son univers, écorché vif et solaire. Son travail traverse le temps, et sa simplicité apparente (qui cache une composition très rigoureuse de l'image) peut toucher, il me semble, un grand nombre de néophytes curieux, ayant soif de vitalité dans l'art.


Margot


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